Luc Ferry est un professeur de philosophie, essayiste et homme politique français, né le 3 janvier 1951 à La Garenne-Colombes (département de la Seine). Docteur en science politique (1980), par ailleurs professeur agrégé de philosophie (1975) et de science politique (1982), il est successivement attaché de recherche au CNRS et professeur des universités. Critique du mouvement de mai 1968, il développe à partir de 1985 une philosophie politique d'inspiration libérale, qui porte notamment sur l'écologie, la technique, la famille ou la religion. De 2002 à 2004, dans les gouvernements I et II de Jean-Pierre Raffarin, il est ministre de la Jeunesse, de l’Éducation nationale et de la Recherche du président Chirac, puis nommé membre du Comité consultatif national d'éthique en 2009 par le président Nicolas Sarkozy.
Il n'y a pas de valorisation sans un sujet qui affirme : ça me plaît ! Pas de valorisation sans subjectivité et, donc, sans humanité.
Morale - 18/20
La morale est la chose la plus importante du monde... quand elle fait défaut ! La moins importante, lorsqu'elle est acquise !
Morale - 16/20
.. l'homme n'est homme que par sa liberté, et l'hétéronomie tend à la réification.
Liberté - 14/20
Etre cultivé, c'est être autonome.
Savoir - 16/20
C'est dans l'homme, dans sa raison et dans sa liberté qui constituent sa dignité, qu'il faut fonder les principes du respect de l'autre, non dans une divinité.
Religion - 18/20
Philosopher plutôt que croire, c'est au fond préférer la lucidité au confort, la liberté à la foi. Il s'agit bien en un sens, c'est vrai, de "sauver sa peau", mais pas à n'importe quel prix.
Liberté - 18/20
C'est, en effet, grâce à la croyance que je passe du probable au certain, du général à l'universel, de la conviction intime que le jour va se lever à une certitude absolue, mais illégitime en toute rigueur, qu'il se lèvera bel et bien demain. En réalité, rien ne le prouve absolument, pas plus que je puis être certain à partir de la seule induction que l'eau recommencera toujours à bouillir aux environs de cent degrés. La science fondée sur l'observation ne serait qu'une croyance, une "attente" en quelque sorte, et nullement un corpus de vérités certaines.
Savoir - 16/20
Une proposition qui ne se prête a priori à aucune réfutation possible (par exemple : Dieu existe, ce que nul ne peut réfuter expérimentalement) n'est pas, par définition même, une proposition scientifique.
Savoir - 16/20
Nul ne peut jamais savoir ce qui risque de le déterminer à son insu. C'est même là une simple tautologie. Dans cette perspective, donc, l'objectivité parfaite ne saurait être qu'un idéal, jamais une réalité.
Savoir - 17/20
La vie bonne est celle qui parvient à vivre l'instant sans référence au passé ou à l'avenir, sans condamnation ni exclusive, dans la légèreté absolue, dans le sentiment accompli qu'il n'y a plus alors de différence réelle entre le présent et l'éternité.
Sagesse - 17/20
À qui s'interrogerait sur la "morale de Nietzsche", voici une réponse possible : la vie bonne, c'est la vie la plus intense parce que la plus harmonieuse, la vie la plus élégante (au sens où on le dit d'une démonstration mathématique qui ne fait pas de détours inutiles, de déperdition d'énergie pour rien), c'est-à-dire celle dans laquelle les forces vitales au lieu de se contrarier, de se déchirer et de se combattre et par conséquent de se bloquer ou de s'épuiser les unes les autres, se mettent à coopérer entre elles, fût-ce sous le primat des unes, les forces actives bien sûr (celles du monde sensible, de l'art, de l'aristocratie, qui n'ont pas besoin de s'opposer pour s'exprimer), plutôt que les autres, les réactives (les forces qui ne peuvent se déployer sans nier d'autres forces). Et voilà, selon lui, le "grand style".
Morale - 17/20
Les vérités auxquelles la science (et toute recherche rationnelle) veut parvenir sont "intrinsèquement démocratiques" (par opposition à aristocratiques), elles sont de celles qui prétendent valoir pour tout un chacun, en tout temps et en tout lieu.
Savoir - 16/20
De même qu'il existe une équivalence secrète entre réaction/recherche de la vérité/démocratie/rejet du monde sensible au profit du monde intelligible, de même, un fil d'Ariane relie entre eux l'art, l'aristocratie, le culte du monde sensible ou corporel, et les forces active.
Savoir - 16/20
La thèse la plus profonde de Nietzsche, celle qui va fonder toute sa philosophie - tout son "matérialisme" si l'on entend par là un rejet de tous les "idéaux" -, c'est qu'il n'existe rigoureusement aucun point de vue extérieur et supérieur à la vie, aucun point de vue qui aurait en quoi que ce soit le privilège de s'abstraire du tissu des forces qui constituent le fond du réel, l'essence la plus intime de l'être.
Savoir - 17/20
Il y a toujours dans la "theoria" philosophique deux aspects. Il y a le theion et le orao, le divin qu'on cherche à repérer dans le réel et le voir qui le contemple, ce que l'on veut connaître et ce avec quoi on tente d'y parvenir, les instruments dont on se sert pour y arriver. En d'autres termes, la théorie comprend toujours, d'un côté, la définition de l'essence la plus intime de l'être, de ce qui est le plus important dans le monde qui nous entoure (ce qu'on appelle l'ontologie - onto renvoie au mot grec qui veut dire "étant") et, de l'autre, celle de la vision ou, tout au moins, des moyens de connaissance qui nous permettent de l'appréhender (ce qu'on nomme la théorie de la connaissance).
Savoir - 17/20
On fuit la vie lorsqu'on juge la réalité au nom de l'idéal, comme s'il était transcendant, hors d'elle, alors que tout lui est, de part en part et sans le moindre reste, immanent.
Savoir - 17/20
La conviction de Nietzsche, c'est que tous les idéaux, qu'ils soient explicitement religieux ou non, qu'ils soient de droite ou de gauche, conservateurs, progressistes, spiritualistes ou matérialistes, possèdent la même structure et la même finalité : fondamentalement, ils relèvent d'une structure théologique puisqu'il s'agit toujours d'inventer un au-delà meilleur que l'ici-bas, d'imaginer des valeurs prétendument supérieures et extérieures à la vie ou, pour parler le jargon des philosophes, des valeurs transcendantes. Or aux yeux de Nietzsche, une telle invention est toujours, secrètement bien sûr, animée de "mauvaises intentions". Son véritable but n'est pas d'aider l'humanité, mais seulement de parvenir à juger et finalement condamner la vie elle-même, de nier le vrai réel au nom de fausses réalités, au lieu de l'assumer et de l'accepter tel qu'il est. C'est cette négation du réel au nom de l'idéal que Nietzsche nomme le "nihilisme".
Savoir - 17/20
Pour Nietzsche, il n'y a pas de transcendance ; tout jugement est un symptôme, une émanation de la vie qui fait partie de la vie et ne peut jamais se situer hors d'elle.
Savoir - 17/20
Ceux qui bénéficient du système le déplorent moins que ceux qui en pâtissent.
Politique et économie - 14/20
Pire qu'un pouvoir occulte, nous découvrons avec la mondialisation une pure absence de pouvoir.
Politique et économie - 16/20
Déconnecté de toute visée de civilisation ou d'humanisme, le progrès n'a plus d'autre justification que son propre mouvement.
Politique et économie - 15/20
Nous avons l'impression que les forces économiques, les marchés financiers, les nouvelles technologies, transforment notre vie de tous les jours bien davantage que nos ministres ou nos parlementaires.
Politique et économie - 13/20
La communication, comme la guerre, est un art simple, et tout d’exécution.
Politique et économie - 13/20
La liberté de pensée est absolue ou elle n'est rien.
Liberté - 15/20
La menace principale qui pèse sur nos démocraties réside dans leur incapacité à justifier de façon forte leur propre politique.
Politique et économie - 16/20
Comment gouverner les démocraties s'il faut être populaire pour être élu et impopulaire pour réformer ?
Politique et économie - 17/20
Les trois dimensions de la philosophie : l'intelligence de ce qui est (théorie), la soif de la justice (éthique) et la quête du salut (sagesse).
Sagesse - 16/20
Être sage, par définition même, ce n'est pas aimer ou chercher à l'être, c'est, tout simplement, vivre sagement, heureux et libre autant qu'il est possible, en ayant enfin vaincu les peurs que la finitude a éveillé en nous.
Sagesse - 14/20
Pour les stoïciens, le logos, c'est-à-dire le divin, se confondait avec la structure impersonnelle, harmonieuse du monde, du cosmos tout entier. Chez les chrétiens, il va s'identifier à une personne singulière : le Christ. La foi va prendre la place de la raison, voire s'élever contre elle. Pour pratiquer convenablement la nouvelle 'théorie' des chrétiens, ce qui est requis ce n'est plus l'entendement des philosophes, mais l'humilité des gens simples.
Religion - 14/20
La technique concerne les moyens et non les fins. Elle est une sorte d'instrument qui peut se mettre au service de toutes sortes d'objectifs mais qui ne les choisit pas elle-même.
Politique et économie - 16/20
Il faut pouvoir s'écarter du réel pour le juger bon ou mauvais, de même qu'il faut pouvoir se distancier de ses appartenances naturelles ou historiques pour acquérir ce que l'on nomme d'ordinaire l'"esprit critique" hors duquel il n'est aucun jugement de valeur possible.
Morale - 16/20
Le sage authentique n'est pas de ce monde et la béatitude nous reste, hélas, inaccessible.
Sagesse - 17/20
Pour s'interroger, il faut être deux, celui qui interroge et ce qu'on interroge. Confondu avec la nature, l'animal ne peut l'interroger. L'animal fait un avec la nature. L'homme fait deux.
Savoir - 15/20
Avec le christianisme, nous sortons de l'univers aristocratique grec - la cité grecque est fondée sur l'esclavage - dans lequel les meilleurs par nature devaient en principe être "en haut", pour entrer dans celui de la "méritocratie", c'est-à-dire dans un monde qui va d'abord et avant tout valoriser, non les qualités naturelles de départ, mais le mérite que chacun déploie dans leur usage. La force, la beauté, l'intelligence, la mémoire, etc., bref tous les dons naturels, hérités à la naissance, sont certes des qualités, mais justement pas sur le plan moral, car tous peuvent être mis au service du pire comme du meilleur.
Morale - 16/20
Seule une action libre, peut être dite vertueuse, pas une chose de la nature (par exemple, les grecs qualifiaient de vertueux, un œil qui voyait bien). En quoi c'est bien le "libre arbitre" qui se trouve mis au principe de tout jugement sur la moralité d'un acte. Mais c'est en même temps l'idée d'égale dignité de tous les êtres humains qui fait son apparition avec le christianisme : en quoi il sera, plus ou moins secrètement, à l'origine de la démocratie moderne.
Morale - 16/20
Au lieu que la vie des juifs et des musulmans orthodoxes est remplie d'impératifs extérieurs, de devoirs touchant les actions à mener dans la cité des hommes, le christianisme se contente de les renvoyer à eux-mêmes pour savoir ce qui est bon ou non, à l'esprit du Christ et de son message, plutôt qu'à la lettre cérémoniale de rituels qu'on respecte sans y penser...
Morale - 15/20
Les civilisations qui n'ont pas connu le christianisme auront de grandes difficultés à accoucher de régimes démocratiques parce que l'idée d'égalité, notamment, n'a rien d'évident pour elles.
Politique et économie - 16/20
Dès lors que le libre arbitre est placé au fondement de l'action morale, dès lors que la vertu réside, non dans les talents naturels (comme le voulaient les grecs) qui sont inégalement répartis, mais dans l'usage qu'on choisit d'en faire, dans une liberté par rapport à laquelle nous sommes tous à égalité, alors il va de soi que les hommes se valent. Du moins, bien sûr, d'un point de vue moral - car, c'est l'évidence, les dons de nature restent toujours aussi inégalement répartis qu'auparavant. Mais sur le plan éthique, cela n'a, au fond, aucune importance.
Morale - 16/20
Si la loi de ce monde est celle de la finitude et du changement, si, comme le disent les bouddhistes, tout est "impermanent", c'est-à-dire périssable et changeant, c'est pécher par maque de sagesse que de s'attacher aux choses et aux êtres qui sont mortels. Non qu'il faille sombrer dans l'indifférence bien sûr, ce que le sage stoïcien pas plus que le moine bouddhiste ne sauraient recommander : la compassion, la bienveillance et la sollicitude à l'égard des autres, voire envers toutes les formes de vie, doivent demeurer la règle éthique la plus élevée de nos comportements. Mais la passion, à tout le moins, n'est pas de mise chez le sage, et les liens familiaux eux-mêmes, lorsqu'ils deviennent trop "attachants" doivent être, si besoin, distendus.
Sagesse - 17/20
Chez les grecs, et tout particulièrement chez les stoïciens, la crainte de la mort se trouvait finalement surmontée au moment où le sage comprenait qu'il était lui-même une partie, sans doute infime mais néanmoins réelle, de l'ordre cosmique éternel. [...] C'est en tant que fragments inconscients d'une perfection elle-même inconsciente que nous pouvions nous penser éternels, non en tant qu'individus.
Mort - 13/20
L'homme peut s'écarter des règles naturelles, et même créer une culture qui s'oppose presque termes à termes à elles - par exemple la culture démocratique qui va tenter de contrecarrer la logique de la sélection naturelle pour garantir la protection des plus faibles.
Politique et économie - 15/20
Ce qui est diabolique, ce n'est pas simplement de faire le mal mais de prendre le mal en tant que tel comme projet. [...] Il semble bien que seul l'être humain soit réellement capable de se montrer, à proprement parler, diabolique. [...] Le choix du mal, le démoniaque, semble bien appartenir à un autre ordre que celui de la nature. Il ne sert à rien, il est même le plus souvent contre-productif.
Morale - 15/20
Ce qui fait que la petite tortue ne possède ni histoire personnelle (éducation) ni histoire politique et culturelle, c'est qu'elle est dès le début et depuis toujours guidée par les règles de la nature, par l'instinct, et qu'il lui est impossible de s'en écarter. Ce qui, à l'inverse, permet à l'être humain d'avoir cette double historicité, c'est justement le fait qu'étant en excès par rapport aux "programmes" de la nature, il peut évoluer indéfiniment, s'éduquer "tout au long de la vie" et entrer dans une histoire dont nul ne peut dire aujourd'hui quand et où elle finira.
Savoir - 15/20
Si l'homme est libre, alors il n'y a pas de "nature humaine", pas d'"essence de l'homme", de définition de l'humanité, qui précèderait et déterminerait son existence. Sartre développe cette idée en affirmant que, chez l'homme, "l'existence précède l'essence". Les animaux ont une "essence" commune à l'espèce, qui précède leur existence individuelle : il y a une "essence" du chat ou du pigeon, un programme naturel, celui de l'instinct, de granivore ou de carnivore.
Liberté - 14/20
C'est parce qu'il est libre, qu'il n'est prisonnier d'aucun code naturel ou historique déterminant, que l'être humain est un être moral.
Liberté - 16/20
Le désintéressement et l'universalité sont les deux piliers de la morale que Kant va exposer dans sa fameuse "Critique de la raison pratique (1788)".
Morale - 14/20
L'action vraiment morale, l'action vraiment "humaine" (et il est significatif que les deux termes commencent à se recouper) sera d'abord et avant tout l'action désintéressée, c'est-à-dire celle qui témoigne de ce propre de l'homme qu'est la liberté entendue comme faculté de s'affranchir de la logique des penchants naturels. Car il faut bien avouer que ces derniers nous portent toujours vers l'égoïsme. La capacité de résister aux tentations auxquelles il nous expose est très exactement ce que Kant nomme la "bonne volonté", en quoi il voit le nouveau principe de toute moralité véritable : alors que ma nature - puisque je suis aussi un animal - tend à la satisfaction de mes intérêts personnels, j'ai aussi, telle est du moins la première hypothèse de la morale moderne, la possibilité de m'en écarter pour agir de façon désintéressée, altruiste (c'est-à-dire tournée vers les autres et non seulement vers moi). [...] Le second trait d'une action vraiment morale, est lié directement au premier : il s'agit de l'accent mis sur l'idéal du bien commun, sur l'universalité des actions morales entendues comme le dépassement des seuls intérêts particuliers. Le bien n'est plus lié à mon intérêt privé, à celui de ma famille ou de ma tribu. Bien entendu, il ne les exclut pas, mais il doit aussi, au moins en principe, prendre en compte les intérêts d'autrui, voire de l'humanité toute entière - comme l'exigera d'ailleurs la grande Déclaration des droits de l'homme.
Morale - 15/20
Liberté, vertu de l'action désintéressée, souci de l'intérêt général : voilà les trois maîtres mots qui définissent les modernes morales du devoir - du "devoir", justement, parce qu'elles nous commandent une résistance, voire un combat contre la naturalité ou l'animalité en nous.
Morale - 15/20
Alors que l'inégalité règne sans partage s'agissant des talents innés - la force, l'intelligence, la beauté et bien d'autres dons naturels sont inégalement répartis entre les hommes - s'agissant du mérite, nous sommes tous à égalité. Car il ne s'agit, comme dit Kant, que de "bonne volonté". Or cette dernière est le propre de tout homme, qu'il soit fort ou non, beau ou non, etc.
Morale - 15/20
Les sagesses cosmologiques - stoïcisme par exemple - définissaient volontiers la vertu ou l'excellence comme un prolongement de la nature, comme la réalisation aussi parfaite que possible, pour chaque être, de ce qui constitue sa nature et indique par là sa "fonction" ou sa finalité (ainsi les grecs pouvaient parler d'un "œil vertueux").
Morale - 16/20
Si on identifie la vertu aux talents naturels - comme dans les sagesses cosmologiques de la Grèce ancienne -, il est normal que l'on construise un monde aristocratique, fondamentalement inégalitaire, qui postule non seulement une hiérarchie naturelle des êtres, mais qui s'attache à faire en sorte que les meilleurs soient "en haut" et les moins bons "en bas". Si, au contraire, on situe la vertu, non plus dans la nature, mais dans la liberté, alors tous les êtres se valent, et la démocratie s'impose.
Morale - 15/20
La volonté de restaurer des paradis perdus relève toujours d'un manque de sens historique. […] Qui voudrait sérieusement revenir aujourd'hui au temps des Misérables de Victor Hugo, à l'époque où les femmes n'avaient pas le droit de vote, où les ouvriers n'avaient pas de vacances, où les enfants travaillaient à douze ans, où l'on colonisait allègrement l'Afrique et l'Asie ?
Sagesse - 16/20
La mondialisation libérale est en train de trahir une des promesses les plus fondamentales de la démocratie : celle selon laquelle nous allons pouvoir, collectivement, faire notre histoire, du moins y participer, avoir notre mot à dire sur notre destin, pour tenter de l'infléchir vers le mieux. Or l'univers dans lequel nous entrons, non seulement nous échappe de toute part, mais s'avère être en plus dénué de sens, dans la double acceptation du terme : privé à la fois de signification et de direction.
Politique et économie - 16/20
La Physique moderne va se fonder tout entière sur le postulat selon lequel rien dans le monde n'advient sans raison. Tout évènement possède une cause, une raison d'être, et le rôle de la science est de les découvrir de sorte que son progrès se confond avec l'éradication progressive du mystère que les hommes du Moyen Âge croyaient pour ainsi dire inhérent à la nature.
Savoir - 16/20
L'économie moderne fonctionne comme la sélection naturelle chez Darwin : dans une logique de compétition mondialisée, une entreprise qui ne progresse pas tous les jours est une entreprise tout simplement vouée à la mort. Mais ce progrès n'a d'autre but que lui-même, il ne vise à rien de plus qu'à rester dans la course avec les autres concurrents. [...] Il ne s'agit plus de dominer la nature ou la société pour être plus libre ou plus heureux, mais de maîtriser pour maîtriser, de dominer pour dominer. Pourquoi ? Pour rien justement, ou plutôt, parce qu'il est tout simplement impossible de faire autrement étant donné la nature des sociétés de part en part animées par la compétition, par l'obligation absolue de "progresser ou périr".
Politique et économie - 16/20
Comme dans le message stoïcien, mais aussi comme chez Spinoza et Nietzsche, il faut parvenir à aimer le monde, il faut nous élever jusqu'à l'amor fati, et c'est là aussi sans doute le fin mot de ce que nous pouvons bien nommer, même si cela semble un peu paradoxal, la "spiritualité" matérialiste.
Spiritualité - 17/20
Tout bien pesé, je préfère m'engager dans la voie d'un humanisme qui aurait le courage d'assumer pleinement le problème de la transcendance. Car c'est bien, au fond, de cela qu'il s'agit, de l'incapacité logique où nous sommes de faire l'économie de la notion de liberté telle que nous l'avons vue à l'œuvre chez Rousseau et Kant - c'est-à-dire de l'idée qu'il y a en nous quelque chose qui est comme en excès par rapport à la nature et l'histoire. Non, contrairement à ce que prétend le matérialisme, nous ne parvenons pas à nous penser comme totalement déterminés par elles, nous ne parvenons pas à éradiquer tout à fait le sentiment que nous sommes en quelque façon capables de nous en détacher pour les regarder de façon critique.
Liberté - 16/20
Cette faculté d'arrachement à la nature et à l'histoire que Rousseau et Kant nommait la liberté ou la perfectibilité est bien en situation de transcendance par rapport aux codes dans lesquels le matérialisme voudrait nous enfermer.
Liberté - 17/20
Le matérialiste dit que nous ne sommes pas libres, mais il est convaincu qu'il affirme cela librement. Il dit que nous sommes de part en part déterminés par notre histoire, mais il ne cesse de nous inviter à nous en émanciper, à la changer, à faire la révolution si possible ! Il dit qu'il faut aimer le monde tel qu'il est, se réconcilier avec lui, fuir le passé et l'avenir pour vivre au présent, mais il ne cesse de tenter de le changer dans l'espérance d'un monde meilleur. Bref, le matérialiste énonce des thèses philosophiques profondes mais toujours pour les autres, jamais pour lui-même. Toujours, il réintroduit de la transcendance, de la liberté, du projet, de l'idéal, car en vérité, il ne peut pas ne pas se croire, lui aussi, libre et requis par des valeurs supérieures à la nature et l'histoire.
Sagesse - 15/20
Considérons les quatre grands domaines dans lesquels se dégagent des valeurs fondamentales de l'existence humaine : la vérité, la beauté, la justice et l'amour. Toutes les quatre, quoi qu'en dise le matérialisme, demeurent fondamentalement transcendantes pour l'individu singulier.
Sagesse - 15/20
Lorsque je "tombe" amoureux, je suis bel et bien séduit par un être extérieur à moi, une personne qui m'échappe et même, le plus souvent, d'autant plus que je suis dépendant d'elle. Il y a donc bien, en ce sens, transcendance. Mais il n'en est pas moins clair que cette transcendance de l'autre, c'est en moi que je la ressens. Transcendance dans l'immanence, donc.
Sagesse - 16/20
Il y a morale lorsque des principes nous semblent, à tort ou à raison - à tort aux yeux de Nietzsche - si élevés, si "sacrés" que nous en venons à estimer qu'il vaudrait la peine de risquer, voire de sacrifier sa vie pour les défendre.
Morale - 18/20
La grande Déclaration des droits de l'homme n'est rien d'autre - et là encore Nietzsche l'avait bien vu - que du christianisme "sécularisé", c'est-à-dire une reprise du contenu de la morale chrétienne sans que la croyance en Dieu soit pour autant une obligation.
Morale - 14/20
Dans la Bible, connaître veut dire aimer. Pour dire les choses un peu brutalement : quand on dit de quelqu'un "il la connut bibliquement", cela signifie "il a fait l'amour avec elle". [...] Si aimer et connaître sont une seule et même chose, alors, ce qui par-dessus tout donne un sens à nos vies, c'est bien l'idéal de la pensée élargie [...], l'"expérience" - comme le nommait Hegel - de mieux connaître et de mieux aimer les autres.
Amour - 16/20
Par opposition à l'esprit borné, la pensée élargie pourrait se définir comme celle qui parvient à s'arracher à soi pour se "mettre à la place d'autrui", non seulement pour mieux le comprendre, mais aussi pour tenter, en un mouvement de retour à soi, de regarder ses propres jugements du point de vue qui pourrait être celui des autres. Pour prendre conscience de soi, il faut bien se situer en quelque façon à distance de soi-même.
Amour - 16/20
Au banc d'essai des doctrines du salut, rien ne peut concurrencer le christianisme (seul à promettre non seulement la résurrection des âmes mais aussi celle des corps) … pourvu, cependant, que l'on soit croyant.
Sagesse - 16/20
Les recommandations du bouddhisme rejoignent, presque mot pour mot, celles des stoïciens. Elles se résument au fond à un principe premier : ne pas s'attacher. Non pas par indifférence, le bouddhisme, comme le stoïcisme, plaide pour la compassion, et même les devoirs de l'amitié. Mais par précaution : si nous nous laissons peu à peu piéger par les attachements que l'amour installe toujours en nous, nous nous préparons inévitablement les pires souffrances qui soient puisque la vie est changement, impermanence, et les êtres sont tous périssables. Bien plus, ce n'est pas seulement du bonheur, de la sérénité, que nous nous privons par avance, mais de la liberté. Les mots sont d'ailleurs parlants : être attaché, c'est être lié, non libre, et si l'on veut s'affranchir de ces liens que tisse l'amour, il faut s'exercer le plus possible à cette forme de sagesse qu'est le non-attachement.
Sagesse - 17/20